Si tu ne viens pas au théâtre, le "bus" ira à toi

Dans la salle de réception de Cérons - 700 habitants - près de Sauternes (Gironde), jeudi 5 janvier à 19 heures, Jean-Michel et Michèle Farrouil, 120 ans à eux deux, sont assis sagement au fond de la salle. Comme 59 autres personnes, ils attendent l'apéritif - liquoreux, tapenade maison, boudin, clémentines et chocolats - mais surtout " le bus ". Venus des quatre coins des treize villages de la communauté de communes de Podensac, ils ont payé entre 6 et 12 euros pour monter dans " le bus des curiosités " qui les conduira voir un spectacle qu'ils ne connaissent pas dans un lieu tout aussi inconnu. Les cheveux sont souvent blancs, la démarche hésitante, mais l'excitation et le sourire palpables. " Et c'est comme ça depuis le début ", assure Véronique Pommier, à l'origine de cette idée unique. Pour Jean-Michel et Michèle Farrouil, dont les sorties récentes se résument à une compagnie de danse celtique et au feu d'artifice de Langon, le chef-lieu de canton, " c'est super " : " C'est très bien organisé, ça nous arrange aussi, car on n'aime pas sortir le soir avec ce qu'on voit à la télé... ", lâche Michèle, derrière ses lunettes rondes. " En plus, c'est la surprise ", ajoute, gourmand, son mari. Après un test en 2006, Véronique Pommier, programmatrice et salariée de l'association, propose dix-huit sorties pour la saison 2011-2012, vingt pour l'an prochain. " Ce projet est parti d'une frustration, explique-t-elle : A force de voir des spectacles qu'on ne peut pas accueillir dans les petites salles de campagne car non équipées et souvent sans moyens financiers, je me suis dit : "Pourquoi ne pas amener ce public-là sur les lieux existants ?" " La plupart, des retraités, ne sont abonnés à aucune salle. Certains n'y ont même jamais mis les pieds. " Ils sont bruts de pomme, sans dissection intellectuelle, ce qui donne une attractivité et un naturel dans la découverte qu'on n'a pas quand on intellectualise trop ", constate la présidente de l'association, Marie-Françoise Marrens, une ex-enseignante. Lien social Dans le bus, on discute, on chante, on rit, on scrute le bitume et la signalétique pour trouver la fameuse salle. Des habitants qui se croisaient se découvrent des attaches communes. Sur un voyage qui peut durer trois quarts d'heure, des inconnus prennent le temps de se parler, s'échangent leurs contacts, se revoient. Le président de la communauté de communes, la première à avoir signé une convention avec l'association, en est persuadé : " A notre petite échelle, au-delà de l'aspect culturel, cela permet de créer du lien social, de le renforcer, de sortir des personnes de l'isolement et de faire se rencontrer les gens. " Ce soir-là, l'équipage a rendez-vous pas très loin de Cérons, sur la scène des Carmes de Langon, pour une création de la compagnie bordelaise Théâtr'Action. Surprise : Danièle et Jean-Pierre Bosredon, d'anciens Parisiens habitant Langon depuis vingt-trois ans et habitués de la programmation de la salle comme du " bus ", y retrouvent leur fils. " C'est le risque et la règle du jeu, notre poisson d'avril avant l'heure ", sourit le mari. Claudia Courtois (Correspondante-Bordeaux)


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